Il y a plusieurs années de cela, j’avais eu l’intuition de plusieurs voix qui s’exprimeraient en chacun de nous. Sans nous rendre schizophrènes, ni nous inciter à nous prendre pour Napoléon…
Pour tout dire, je ne suis pas diplômée en psychothérapie, mais je me suis pas mal intéressée au sujet, et je suis surtout plus qu’intuitive…
Cette l’intuition, que j’ai beaucoup travaillé à développer, m’a donné un infini respect de ce qu’elle nous confie. Beaucoup plus, en réalité que l’intelligence, fruit de cette petite mécanique qu’on appelle le cerveau.
« Dans le doute, disais-je, encore et encore à mes enfants, suivez votre intuition, plutôt que votre intelligence ».
Car mes enfants, très intelligents, beaucoup plus que moi, à vrai dire, m’ont beaucoup appris sur le sujet. Et pour commencer, à quel point le QI, fort prôné dans nos sociétés modernes, n’est pas aussi avantageux que ce que l’on voudrait croire. Un très fort QI peut aller jusqu’au handicap pour vivre et s’intégrer.
L’image que j’ai en tête, lorsque je pense ainsi aux revers de l’intelligence, c’est ma fille de huit ans en train de s’acharner à réfléchir ses mouvements pour nager, ce qui lui prenait du temps, et la faisait systématiquement couler. On le voyait bien, à ses gestes saccadés et mathématiques, que le cerveau était à l’œuvre. Quand le reste de la troupe, jeté en milieu aqueux, se mettait beaucoup plus naturellement, avec fluidité et instinct, à pédaler comme des grenouilles.
Mes deux enfants ont tous les deux été diagnostiqués comme très intelligents, et ce, dans une langue étrangère, et j’ai dû pourtant me battre pied à pied contre leurs doutes et leur sentiment d’infériorité. En plus de leurs prises de tête, de leurs frayeurs…
Mon fils de six ans nous demandait à chaque voyage si on avait une roue de secours et allait se faire vacciner en sautillant de joie comme un cabri, demandant à être piqué pour toutes les maladies existantes. Le pur bonheur du pédiatre qui n’était pas habitué à autant d’enthousiasme pour sa pratique.
Pour élever mes gosses, j’ai ramé contre le courant. Celui de leur l’intelligence.
Je suis bien consciente aussi, en écrivant cela, qu’il est plus facile d’être fier d’avoir eu ce genre de difficulté. Et qu’on pourrait me taxer d’un chouïa d’arrogance et d’insensibilité face à d’autres handicaps, bien moins agréables ou d’apparence flatteuse. Je m’en excuse par avance.
Mais la réalité d’une intelligence vive, ça n’est souvent pas un enfant brillant qui se contente au pire d’être un peu difficile, ça peut être au contraire un enfant qui ne fout strictement rien en classe, sauf suivre le vol des mouches. Et un enseignant qui vous explique dans le blanc des yeux « qu’elle n’a jamais vu ça en trente ans de carrière ». Entre autres.
C’est pas mal d’inquiétudes…
Et si je cite là mon exemple personnel, c’est pour dire que j’ai pensé assez tôt qu’on survalorisait le QI, quand le quotient le plus important pour la vie en société, et celui qu’on n’aidait pas assez à s’épanouir, c’était celui de l’émotionnel.
Depuis, mon opinion de l’intelligence s’est encore dégradée…
Car l’intelligence est la voix de la polémique, ces discours creux qui n’ont pour autre but que celui de gagner l’argument, sans avoir besoin d’aucune conviction ou de principe, de morale, d’honneur, ou de conscience.
Pendant ma formation pour entrer en école de commerce, j’ai appris ainsi à débattre le pour ou le contre, en alternance, de sujets aussi cons que « pour ou contre les feuilles mortes » ou « pour ou contre ‘y a qu’à' ».
Et oui, bien sûr, je suis tout à fait capable de devenir lyrique et convaincante sur ces fadaises.
Ce qui est plus grave, c’est quand Édith Cresson, que j’ai eue en intervenant extérieur à mon école Sup de Luxe, nous confiait que les étudiants de feu l’ENA, au parlement européen, étaient parfaitement capables d’appliquer leur plan en trois points – thèse, antithèse, synthèse – à la défense du terrorisme, quand les étudiants anglais du même niveau académique, amenés à répondre à la même question, se refusaient catégoriquement à y trouver la moindre justification.
L’intelligence peut tout, elle. Même justifier les pires crimes dans le cerveau de chacun. En général, l’argument commence par « oui, mais… »
En moins grave, mais tout aussi révélateur, il y a la fatigue que vivent les parents d’un tout petit particulièrement intelligent quand ils sont piégés par lui dans une logique en général imparable, puisqu’elle est complètement exempte des notions du bien et du mal. Et là encore, on en revient aux limites que j’ai constatées à l’éducation positive…
Et à ma phrase libératrice, assénée enfin en toute bonne conscience à des « pourquoi » sans fin : « Parce que je te le dis et que ça te suffit. »
Le cerveau, comme je le répète aussi très souvent à mes enfants, c’est la voix des idées à la con. Vous avez une idée ou une tentation débile ? : c’est la petite mécanique qui joue avec vos nerfs.
« Tiens, pourquoi tu traverserais pas, là, pour voir si tu passes ? »
« Ça aurait quel goût, un savon ? »
Des idées qui peuvent aller jusqu’à la tentation de la destruction ou de l’autodestruction et, comme je l’ai lu récemment dans un article professionnel, le pire, c’est que plus ces idées foutraques sont contraires à notre conscience, plus on est horrifié par la suggestion, plus le cerveau insiste.
Le cerveau, ce petit con neuronal, est chiant.
En cas de traumatisme ou de stress, comme je viens de le lire dans cet autre article, il peut devenir carrément toxique.
Et le fait que la Science admette aujourd’hui que nos voix intérieures existent au point de pouvoir pourrir la vie d’au moins cinq à dix pour cent de la population, je le vis comme une bonne validation de mes intuitions sur la psychologie humaine.
On a tous notre parole intérieure, en réalité. Ce qui compte, à mon avis, à un niveau spirituel, c’est de les équilibrer et de savoir les identifier, pour mieux choisir celle qui va guider notre destinée.
Et l’intelligence, selon moi, ne devrait pas être cette voix-là.
Car si l’égo est la voix évidente de l’orgueil, et de la rébellion, celle aussi de la colère face à n’importe quelle ingérence extérieure mal venue, le cerveau a cette tendance à tricoter pour rien.
Des hypothèses, des solutions possibles. En tant qu’outil, encore une fois, c’est utile.
Mais un cerveau qui n’est pas tenu en laisse, c’est la valse des peurs et des hésitations. D’autant plus paralysantes que la personne est intelligente.
Et je revois encore mon Cher et Tendre, immobilisé devant la maison en bois des enfants, qu’on devait démonter, calculant les probabilités, envisageant les possibles blessures en cas de mauvais geste… Pendant que je fonçai sur le truc, dans un bel exemple de ce qu’on mari appelle « bourriner », pour commencer à attaquer la tâche et me démerder au fur et à mesure.
« Quand faut y aller, faut y aller »… n’est pas le modus operandi de l’intelligence.
Or, l’univers répond plus favorablement à ceux qui osent.
« Un intellectuel assis va moins loin qu’un con qui marche ». Et cette citation d’Audiard, je l’ai aussi pas mal servie à mes enfants, jusqu’au gavage.
Aussi, une hiérarchie sera plus sensible au charisme artificiel d’un crétin égotique et sûr de lui, qu’à l’expertise prudente du professionnel avisé. Un crétin n’a pas l’intelligence pour douter. c’est le syndrome Kruger-Dunning.
Du coup, aujourd’hui, les seuls intelligents qui grimpent dans le monde, le dominent et le dirigent sont ceux dont l’égo, démesuré, ramènera le cerveau à sa place. Ces intelligents-là, pour notre malheur à tous, sont des psychopathes.
Un autre problème de l’intelligence, c’est que face à la peur, la défense automatique, c’est la colère. Voire carrément la rage.
Qui est très mauvaise conseillère. Et nous amène sur la voie de l’égo.
C’est le même pont vers l’égo lorsque l’intelligence estime, souvent à raison, hélas, le monde est ainsi fait, que son humain a subi une injustice. La corrélation entre sens de la justice et intelligence a, du reste, été faite par les pédopsychiatre qui étudient les enfants plus précoces.
Le risque, alors, c’est une boucle sans fin entre l’intelligence qui craint ou qui identifie des injustices et l’égo qui se met en colère et se rebelle.
Une boucle qui, si elle reste en vase clôt, sans aucune intervention du cœur, de la conscience ou du bon sens, devient une spirale infernale qui engloutit tout l’être dans la sociopathie et ses dérivées.
Nitro a rencontré glycérine;
Boum.
D’après certains témoignages que j’ai écoutés, de psychopathes forcément heureux de l’être et qui se trouvent biens d’un monde où tout peut se confier, cette spirale peut prendre la forme d’une sorte d’illumination de la Raison, loin des vicissitudes de la peur et des émotions, maintenant reléguées au rang du vulgaire.
Il paraît que l’œil du cyclone donne aussi cette illusion. On n’en est pas moins à l’intérieur du merdier.
Cela ressemble bien au mal, que d’aveugler les gens à coups de phare dans la gueule et de leur faire croire qu’il s’agit de la lumière du soleil qui leur chauffe la peau.
Pauvres papillons de nuit…
Cette lumière artificielle, on la retrouve en haut de la pyramide des franc-maçons, c’est l’œil de Sauron, ou la déesse de la Raison pendant la Terreur de la Révolution…
Et le nom des illuminati, qu’ils existent ou non, ou surtout, qu’ils se reconnaissent comme tel ou non, est bien trouvé.
C’est un peu à l’image d’une de mes intuitions récentes, comme quoi le mal était un feu de forêt, violent méchant et sans possibilité de durer. Alors que le bien est un soleil patient qui fera tout repousser.
Le drame, c’est pour les arbres innocents.
Mais la Terre est affaire d’humains. Et Dieu nous a laissé notre libre arbitre…
Du coup, quand j’entends mon cerveau essayer de me terroriser et quand je le vois m’envoyer les pires images mentales pour me retenir de courir, de vivre ou d’essayer, je me demande si l’intelligence, avec l’égo, n’est pas la deuxième voix de notre part sombre.
Celle à laquelle les spirituels nous conseillent encore et encore de nous confronter.
« Laissez venir à moi les petits enfants, et ne les en empêchez pas; car le royaume de Dieu est pour ceux qui leur ressemblent. » a dit Jésus.
S’il ne saurait agir, dans cette phrase, d’une référence à l’égotisme des tous petits ou à leur immaturité émotionnelle, c’est au contraire, à mon avis, la solution au problème posé par le cerveau : conserver son sens de la magie, garder la foi, avoir confiance en l’univers.
Revenir à l’innocence d’avant la fatidique pomme.
Mais à défaut de pouvoir jamais avoir confiance en ce monde violent et décevant, en ce monde fait trop souvent à l’image de personnes sans cœur ni conscience, on peut toujours se concentrer sur son jardin intime ou intérieur. À l’image de ce Palestinien qui, en dépit de la pluie de bombe qui tombait sur lui et sur les siens, s’est acharné à faire pousser des plantes sur un champ de ruine.
Les cyniques, pour preuve de leur intelligence, justement, diront que ça ne l’aura pas empêché de mourir de façon horrible, carbonisé dans une tente.
Mais je crois au contraire que cet homme admirable a sauvé le plus important, son âme, et qu’il est resté jusqu’au bout fidèle à lui-même. L’égo et le cerveau ne voient que notre survie sur Terre, au point où les techbros et les tyrans sont désespérés de se trouver des solutions pour devenir éternels, quand le cœur et la conscience savent qu’il y a plus important.
Et si cet homme m’inspire aujourd’hui, c’est qu’il en a inspiré beaucoup d’autres. Sa trace est aussi vivante et éternelle que sa mémoire.
Quand ses bourreaux, rongés par la peur et la colère, se détruisent en réalité à petit feu.
Pour revenir à ces techbros qui envisagent sans frémir de charger leur « conscience » dans de la robotique, je pense que ce n’est pas un hasard qu’ils nous noient sous les applications, les jeux et les réseaux sociaux, sensés nous connecter au monde et nous donner du bonheur. Qu’ils nous surexcitent au passage le cortex ou toute autre partie de notre cerveau qui soit concernée.
En réalité, quand ces instruments technologiques ne sont pas réduits à l’état d’outils occasionnels, ce qu’ils font, essentiellement, c’est de nous priver de silence et de nature, c’est de nous priver de la connexion à nous-même et à l’univers.
C’est nous ôter toute capacité au bonheur et nous réduire à l’état d’êtres vivants superficiels à la poursuite sans fin de plaisirs futiles.
Bien sûr, une bonne majorité des ces andouilles égotiques riches à crever ne cherche que l’argent et son pouvoir. Mais je suis sûre que certains sont parfaitement conscients des dégâts à long terme.
Et les suscitent intentionnellement.
Le diable, pour ceux qui y croient, a aussi ses agents.
Comme si l’égo ne suffisait pas pour s’acharner à la perte de nos âmes, voilà donc que l’intelligence n’est pas plus l’amie de notre développement spirituel et émotionnel.
Dans le conte d’Adam et Eve, si le serpent était l’égo, la pomme, ce serait l’intelligence;
Je ne recommande pas pour autant la connerie.
Bête et méchant, c’est la recette de la sociopathie.
Mais je vais m’efforcer, pour moi même, d’appliquer ce que j’ai essayé d’enseigner à mes enfants : de remettre l’intelligence à sa place, qui est celle d’être un outil. Comme devrait l’être la technique.
Un outil qu’on sort pour les maths, la comptabilité ou l’ingénierie. Un outil pour résoudre des problèmes ou analyser une situation avant de se lancer.
Pour tout le reste, je me fierai plutôt à mon cœur ou à mon intuition.
Pour retrouver le chemin de l’innocence.