J’ai déjà écrit deux article de blog sur nos voix intérieures et leurs qualités respectives : le premier sur les six voix, leurs caractéristiques et comment les reconnaître et le deuxième sur une septième voix, celle du bon sens.
Mais j’aimerais à présent parler tout particulièrement de l’égo.
Parce que l’égo est tout de même la foutue plaie de nos existences sur Terre, que ce soit parce qu’on subit le nôtre ou parce qu’on doit se taper celui des autres.
L’égo fait son apparition en chacun de nous quand nous avons à peu près deux ans.
Car c’est vers cet âge que l’on prend enfin conscience que l’on n’est pas juste une extension de sa mère mais un individu distinct, doté de sa propre personnalité.
Ce que les anglo-saxons, avec leur sens de la formule, appellent les « terrible two ».
Avant l’arrivée de l’égo sur le terrain, vous avez un bébé aux yeux de ciel, lumineux et rieurs, aimant son « papapa » et sa « mama », chancelant sur ses petites jambes dodues pour venir vous aider à faire la vaisselle.
Mais arrive un jour où ce même enfant rencontre le « moi », le « je » et le « non » et se met tout soudain à vouloir vous faire payer, ce qui, à ses yeux, est le pire crime qu’on puisse commettre contre l’humanité…
Le fait de vouloir lui imposer des limites.
Il va ainsi vous détester parce que vous lui refusez la permission de voyager dans le coffre, parce que vous ne le laissez pas se nourrir uniquement de crêpes ou que vous avez dit non à une centième petite voiture.
Ce petit ange est alors capable de devenir un Attila en culottes courtes.
Surtout s’il est intelligent et qu’il vous calcule : ce que j’ai vu dans les yeux de chacun de mes enfants, petits, c’était une lueur quand ils comprenaient enfin une de mes faiblesses et réajustaient le tir avant de lancer la prochaine salve. Avec pour but ultime, celui de faire craquer le tenant de l’autorité, le barrage devant le torrent tumultueux de leur volonté.
Car Attila, éduqué à Rome, était aussi fin stratège.
Une personne que j’ai connue, et qui avait le sens de la formule, à ma question naïve « mais pourquoi ne veux-tu pas d’enfants ? » a répondu un jour : « parce qu’un enfant, c’est essentiellement une volonté illimitée d’expansion ».
Et ce pourrait être aussi la définition de l’égo.
Et quand on sait que la vocation de l’éducation est justement de les mettre, ces limites, il faut alors être particulièrement naïf ou bien très courageux, aujourd’hui, pour élever des enfants dans une culture à la Rousseau qui prétend que tous les enfants sont naturellement bons, que lorsqu’ils vous font craquer c’est pour vous permettre de décompresser – ce que j’ai lu pendant une de mes recherches frénétiques de solution dans un livre – et que le sauvage, c’est le parent qui prétend exercer une autorité fatalement irrespectueuse et destructrice de leurs pulsions naturelles.
Ou alors, comme je le conseille à mes enfants, dans l’espoir, pour l’instant relativement ténu d’être grand-mère – parce que oui, en tout bien, toute lucidité et tout honneur j’aime les enfants -, il faut avoir autour de soi un réseau de confiance à qui confier le bambin bavant et écumant, le temps d’une retraite au Népal dans un monastère tibétain qui pratique le vœu de silence.
J’ai de nombreux exemples personnels de grosses galères éducatives et j’en ai déversé deux ou trois, jadis, sur mon blog à une époque où j’étais plus drôle et moins militante.
Mais en voici une autre, ode à mon imperfection en tant que mère :
« Bien, maintenant que pour la dixième fois en cinq jours tu as déversé cette carafe entière sur le sol en me regardant bien dans les yeux pendant tout le mouvement, tu vas réparer.
– Non.
– Ah… »
Et il est possible, voire envisageable, qu’à cette occasion, pour faire réparer ma fille en dépit de sa volonté, je l’aie menacée de me servir d’elle comme serpillière…
Pour les détails traumatiques, j’ai été dûment prévenue, il faudra attendre son premier discours en public.
Le but principal de l’éducation, pour moi, ça a donc été d’apprendre à mes enfants à contrebalancer leur égo avec leur conscience et leur empathie.
C’est à dire, en peu de mots, à leur apprendre à ne pas tourner autour de leur nombril.
Et, pour empiler les traumatismes les uns sur les autres et changer le centre de gravité tripale, j’ai montré une fois, à ma fille d’environ sept ans, un film sur la famine dans le monde et régulièrement parlé, pendant les repas, d’un certain nombre de drames mondiaux, surtout ceux qui concernent les enfants.
C’est assez peu flatteur, je dois dire, d’en venir à montrer les pires histoires d’abus parentaux, de tortures et de famines, dans l’espoir, en comparaison, de sortir positivement du lot.
Et cela a eu pour conséquence directe que mes enfants, aujourd’hui, sont à la fois très au courant de la politique mondiale et tout aussi prompts à me museler à table.
Car l’égo est incapable de perspective, et tout est vécu par lui viscéralement, personnellement, violemment.
Un enfant, à plus forte partie, ne peut pas savoir qu’il y a des gens qui souffrent bien plus que lui. Il ne comprend pas qu’il a déjà de la chance d’avoir une sucette de temps en temps quand ce qu’il voit, avec ses œillères égotiques, c’est qu’il en a absolument besoin maintenant.
En l’absence de perspective, l’égo est aussi incapable de se sentir responsable et va toujours se sentir la victime.
Parce que quiconque a osé lui dénier son droit à tout a nécessairement tort et est forcément méchant.
« Je te déteste » va dire régulièrement le tout petit à son parent qui exerce l’autorité. Et il faut savoir l’entendre sans flancher. Car c’est le signe sûr de ce que vous l’éduquez mais aussi, et c’est pour moi un point essentiel, que votre enfant est assez sûr de lui pour pouvoir s’exprimer.
Sans expérience personnelle, les autres adultes, dont j’ai fait partie, en entendant une petite fille de six ans gueuler à tue-tête dans la rue que sa mère est un monstre ou un petit garçon de trois ans, qui a essayé de fuguer depuis qu’il est en âge de marcher, beugler en plein musée qu’on le kidnappe – exemples vécus ! – vont penser que le bambin a été pourvu d’une horrible ascendance.
C’est tout le contraire : des parents toxiques, félicités implicitement par la communauté qui demande de l’ordre, auront des enfants qui se comporteront en image d’Épinal.
J’ai été cet enfant.
Éduquer, c’est donc pour moi un chemin quelque part au milieu, au jugé, au bon sens, entre autorité et compréhension.
Et un chemin qui ne sera pas exactement le même, en fonction de la personnalité de l’enfant.
Avec un but exceptionnellement important : celui de la maturité émotionnelle.
C’est pour cela que lorsque je vois dire de quelqu’un, en général une personne connue, qu’elle se comporte comme un « toddler », c’est à dire un tout petit enfant, ou qu’elle n’a aucune maturité émotionnelle, je le lis comme un symptôme probable de sociopathie.
Car l’égo, qui a sûrement été créé pour assurer la volonté de survie de chacun d’entre nous, pour nous empêcher entre autres de penser que ce lion a bien le droit de nous bouffer pour survivre, et pour garantir la survie de notre espèce, est, en fait, la voix de l’ombre.
L’égo est la voix qui nous maintient dans l’illusion que nous ne sommes pas la partie d’un tout et que notre individualité à tellement d’importance.
Celle qui se rebelle à toute influence, à toute logique, à toute limite.
Celle qui, du coup, dans une expansion sans fin, va aller de plus en plus loin sur ce chemin obscur juste pour se prouver que c’est possible.
Dans les bandes dessinées, pour représenter le dilemme entre le bien et le mal, si les artistes placent, en voix égotique, un petit diable, sur l’autre épaule, en petit ange, on voit la voix de la conscience.
Mais quand l’égo a étouffé notre conscience et qu’il occupe trop de place, tout lui devient permis.
C’est alors que l’incapacité de l’égo à prendre la moindre responsabilité ou à se mettre en perspective lui est alors utile : car la voix de la conscience n’a pas complètement disparu. Les notions de bien et de mal sont toujours inéluctablement présentes.
Et un malade de l’égo, pour éviter de se regarder en face, va projeter à tout va ses propres défauts et ses propres manquements sur sa victime.
À l’échelle d’un pays, c’est ce qu’on voit avec Israël.
Car la voix de l’égo ment aussi continuellement.
Et peut aller jusqu’à faire vivre certaines personnes dans une réalité alternative dont il est presque impossible de sortir.
La vérité est son premier meurtre.
Elle peut alors remodeler le monde selon ses intérêts expansionnistes.
Le plus ironique ?
C’est que lorsque l’égo a pris toute la place, c’est toute l’originalité de chaque être humain, ses dons et ses qualités qui le rendent unique, qui a perdu du terrain jusqu’à devenir presque inexistante.
L’égo grandit aux détriments de l’originalité.