C’est plutôt rare qu’un adulte aime les enfants des autres. Il les trouvera, en général, insupportablement gâtés, et surtout trop bruyants dans les restaurants, les musées, l’avion, le train…
Et mon mari et moi, ne faisant pas exception à la règle, sous-estimant gravement la difficulté qu’il y a à élever un petit humain, nous avions décidé d’un commun accord que nos futurs enfants seraient la parfaite expression d’une éducation dans sa version « Mélodie du Bonheur ».
Celle d’avant l’arrivée du bonheur : en rang et sachant répondre au coup de sifflet.
Mais, alors que j’étais enceinte et gavée ras la gueule en hormones, je suis tombée sur un livre d’éducation positive et dans le piège de cette éducation à la mode.
Je me suis ainsi retrouvée à pleurer à chaudes larmes au dessus des pages d’un ouvrage sur la couverture duquel il y avait un gros cœur, en pensant à quel point j’aurais aimé être élevée comme cela, dans le respect et la compréhension de mon petit moi.
J’arrivais dans la foulée à convaincre mon mari : nos enfants seraient élevés po-si-ti-ve-ment.
L’écoute de la parole et surtout des émotions de nos futurs bambins seraient au cœur de nos préoccupations. Il fallait laisser nos rejetons s’exprimer librement.
Je me mettrais ainsi systématiquement à la hauteur de notre tout petit, genoux pliés, yeux à sa portée, parole explicative et je ne serais plus là pour l’élever mais pour l’accompagner.
C’est dangereux, ça, au passage, de décider de perdre la position de force donnée par la taille, les juges du moyen-âge en savaient quelque chose, qui n’auraient pas lâché le privilège de coller un accusé sur une sellette : j’ai déjà vu une mère endoctrinée aux mêmes méthodes se faire gifler par son enfant qui avait bien compris qu’on ne crache pas sur un avantage inespéré…
Mais me revoilà en 2008 et des poussières, date fatidique où mon bébé aux yeux de ciel, verts ou mordorés en fonction de la luminosité, découvre l’enfer de l’égo et où je me suis vite mise à déchanter…
Car ce n’est pas un adulte en taille réduite, qu’on essaie de raisonner. Un adulte avec des perspectives acquises par des dizaines d’années d’expériences, qui peut comprendre ce que sa position a de privilégié ou non. Un adulte qui a fini de se connecter neurologiquement et qui est outillé pour maîtriser ses émotions. Un adulte qui a potentiellement appris l’empathie au contact de ses congénères…
Non.
On a affaire à un « toddler », un tout petit noyé par un égo tout neuf et chargé ras la gueule en émotions qu’il n’est pas capable de contrôler. Un enfant qui ne voit tout que depuis la minuscule perspective donnée par ses quelques dizaines de mois.
Un petit être, en résumé, qui ne voit pas plus loin que son nombril.
Quand la nounou que nous avons eu la chance d’employer en Argentine, à la moindre crise de ma fille, se mettait à lui secouer le premier jouet venu sous le nez – Oh, une pomme, dirait Florence Foresti -, j’étais choquée qu’elle ne se renseigne pas plus sur le pourquoi, le comment, le devenir et la morale de la crise émotionnelle du moment.
Et bam, je me mettais à hauteur de moutard, pour un soliloque qui n’aboutissait jamais à rien.
Alors, que oui, à mon grand désarroi, un trousseau de clefs qui fait glingling avait des résultats immédiats.
« Mais des résultats qui ne résolvaient rien en profondeur », pensais-je, bien déterminée à appliquer une éducation qui m’avait tant frappée au cœur !
J’achetais alors encore plus de livres, certains avec des images illustrées pour bien montrer à la mère imbécile que j’étais à quel point c’était facile.
Sauf que rien ne marchait…
Et que l’intelligence de ma fille lui donnait toutes les clefs pour utiliser ces braves intentions contre moi.
« Ne punissez pas, disait le livre, faites réparer ! » Et ma fille se mettait à renverser tout ce qu’elle pouvait par terre en me regardant droit dans les yeux pour voir comment j’allais réussir à gérer ça.
« N’envoyez pas votre enfant dans sa chambre pour le punir, c’est à vous d’aller vous calmer dans la vôtre ! » Et ma fille venait cogner à coups redoublés sur la porte de ma chambre pendant que je me mettais fébrilement des boules en cire dans les oreilles en me répétant en boucle que « c’est ma fille et je l’aime, c’est ma fille et je l’aime… ».
« Votre enfant cherche votre attention, privez-l’en ! » Et ma fille, en parodie de Glenn Close, ne voulant pas être ignorée, était tout le temps dans mes jambes à me chercher de toutes les façons possible pour me faire craquer.
« Il veut vous faire craquer ? C’est pour votre bien, pour que le nuage crève et que revienne le ciel bleu !. » Et ça, dans la série connerie, c’est ce que j’ai cru le moins longtemps. Un enfant vous cherche pour tester les limites que vous représentez, pour abattre l’autorité que vous êtes ou pour se rassurer sur le fait que quoi qu’il se passe, ses parents seront le roc dont il a besoin. Un petit enfant cherche ses parents pour des raisons complètement égoïstes.
Toutes ces méthodes positives apparemment bourrées de bonnes intentions, ne marchent que si l’on a affaire à un petit enfant qui a déjà la maturité d’un adulte.
Des enfants miraculeux, il y en a sûrement, mais mon expérience personnelle m’a plutôt montré que ces enfants dociles sont des enfants qui ont anormalement peur de leurs parents qu’ils soient sociopathiques, irrationnels, coléreux ou violents. Ou des enfants qui ont été manipulés psychologiquement.
Enfant, comme mon « père » l’a généreusement fait remarquer à table alors que mes bambins tournaient autour en criant au moment du dessert, j’ai été une véritable image d’Épinal…
Mais face à un enfant émotionnel (et plus un enfant est intelligent, plus c’est le risque…), qui découvre l’égo et qui ne voit son parent que comme la source inique d’inadmissibles limitations – les fameuses frustrations ! – c’est à dire comme un empêcheur de tourner en rond, c’est mon expérience personnelle que les méthodes de l’éducation positive sont au delà d’inefficaces.
Elles sont contre-productives.
Car ce toddler, si mignon avec ses couettes et ses salopettes, vous a, en réalité, déclaré la guerre.
Et il a bien compris que votre façon bizarroïde de vouloir l’élever vous enlève toutes vos armes.
En même temps que votre acharnement à vouloir le raisonner lui offre toutes les possibilités de vous donner tort.
Car qui a déjà raisonné avec un toddler, le saura : on a une meilleure chance avec un adversaire politique de mauvaise foi.
Et c’est en voyant ma voisine, une adepte de cette éducation, une psychologue professionnelle et aussi la fameuse mère giflée par son rejeton, déambuler à tous petits pas d’octogénaire derrière la poussette de son dernier né, pendant que monsieur restait des dizaines de minutes assis derrière le volant de sa voiture pour se donner le courage de rentrer dans la douceur de son foyer, que j’ai pris cette décision radicale : j’allais changer mon fusil d’épaule.
Et j’allais commencer par l’acheter, ce fusil.
Après tout, j’avais un grand-père gendarme et j’étais quart militaire.
Foin des raisonnements à n’en plus finir et des réponses interminables aux tirs de « pourquoi », la réponse serait à présent : « parce que je te le demande et que ça te suffit. »
La loi, c’était moi.
Et bien m’en a pris, j’en suis persuadée…
Parce que ce que j’ai fini par admettre, c’est qu’un tout petit fait, en même temps que l’égo, la connaissance d’une hypothétique sociopathie. Ou psychopathie pour les plus intelligents.
Et que toute l’éducation, instruction des limites et de l’empathie, consiste justement à retirer sa progéniture de cette dangereuse ornière pour lui permettre de devenir des adultes équilibrés.
Un enfant gâté, c’est un sociopathe putatif.
Un sociopathe, c’est un enfant gâté qui n’a pas grandi.
Je le lis du reste à longueur de commentaires sur Youtube, écrits par des personnes qui n’osent pas affronter la réalité d’une sociopathie trop répandue : man-child, whiny baby, Karen…
Sur des adultes égotiques, qui ont le droit à tout, avides, sans limites, qui ne gèrent pas leurs émotions, susceptibles, sans empathie, destructeurs, coléreux…
Des sociopathes qui n’ont pas bien passé le cap de l’enfance.
« Il devrait faire attention » m’avait dit une autre mère d’un père qui venait de me justifier que son fils fasse le geste de m’égorger en me croisant par le fait qu’il était extrêmement brillant intellectuellement, « c’est comme ça qu’on élève un psychopathe. »
Car la sociopathie est affaire d’extrêmes.
Il est destructeur de vouloir mâter à coups de bâtons.
Il l’est tout autant de ne vouloir qu’être un accompagnateur positif, éternellement patient. Avec là, en bonus, la possibilité de détruire les parents.
Élever un enfant, en réalité, c’est naviguer au compas de son bon sens, c’est s’adapter aux particularités de son enfant, c’est faire au mieux au jour le jour, entre autorité et amour, en sachant que de toute façon on va se planter et que, in fine, si vous n’avez pas trop merdé, votre enfant deviendra qui il a choisi de devenir.
Et c’est bien ce choix-là qui est le plus important.
Alors que l’éducation « positive » est à mes yeux un extrême intellectuel dénué de bon sens.
Un théorie séduisante et dangereuse.
Une construction utopique qui ne prend pas la réalité de la nature humaine en compte.
Au final, fatalement, une dystopie sociopathique.
Du coup, face à la masse d’adultes qui se comportent en enfant gâtés, je me suis posée la question sur les coulisses de cette nouvelle forme à la mode d’éduquer…
Est ce qu’elle a été concoctée par des psys naïfs, paix, fleurs et amour du seigneur, voyant les enfants comme autant de petits êtres magiques au naturel angélique ?
Est-ce que certains psys, potentiellement sociopathes, en se projetant sur l’enfant, voulaient pour ceux-ci ce qu’ils auraient souhaité pour eux-mêmes ? Comme c’est hélas le cas pour tous les milliardaires qui sur-gâtent leur progéniture avant de la lâcher sur un monde innocent ?
Ou est ce que certains autres, psychopathes, connaissant les risques, préparaient une armée de leurs semblables ?
Cette dernière hypothèse est intéressante.
On pourrait en faire un livre…