« Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. » Luc 23:34

… A dit Jésus, depuis sa croix.
Et quand j’étais petite, je n’ai pas compris pourquoi Jésus pouvait dire une chose pareille. Parce qu’avec une telle phrase, on était au delà du pardon d’une faute, d’un péché ou d’un crime. On était au delà de l’empathie.
Jésus déclarait que ces gens, au pied de la croix, en train de se partager les vêtements d’un homme qui souffrait horriblement, ne savaient pas ce qu’ils faisaient.
« Comment était-ce possible ? » pensais-je alors, petite.
N’ont-ils pas des yeux pour voir, des oreilles pour entendre, un cerveau pour analyser les faits… Comme tout le monde ?

Il ne s’agissait même pas alors de croire ou non que Jésus était un prophète et que le meurtre d’un tel homme a, spirituellement, un karma épouvantable susceptible de s’abattre aveuglement sur toute une nation.
Il s’agissait de comprendre qu’ils tuaient un homme pour ce qu’il avait dit. Pour sa foi.
Il s’agissait au moins de compassion devant un lieu de souffrance et d’un minimum de dignité.

Mais maintenant je comprends.
Car ces gens, en train de de se disputer les hardes d’un homme mourant juste au dessus de leur têtes étaient probablement des sociopathes munis d’un égo forcément surdimensionné.
Et que cet égo, au delà de leur enlever toute forme d’empathie, les avait entraînés, depuis longtemps, petit pas après petit pas, dans une réalité alternative.
Ces gens ne savaient effectivement pas ce qu’il faisaient.

Car l’égo ne permet pas à l’humain de considérer d’autre perspective que celle de son nombril.
Tout commence et tout finit avec le sociopathe.
L’ironie suprême est que je crois que la nature humaine ne peut pas complètement éradiquer sa conscience du bien et du mal.
Et que l’égo tricote donc toute une histoire pour que le sociopathe soit une victime permanente qui ait le droit, parfois le devoir, de se venger.
Bien sûr, dans la tête du sociopathe, il s’agit de Justice.

Un sociopathe vit dans une réalité alternative construite dans son égo.
Et ce c’est donc pas forcément de la mauvaise foi, ni un mensonge délibéré, ni même de l’hypocrisie pour un sociopathe lorsqu’il fait le mal au nom du Bien. Trop souvent, ironie cruelle, au nom de Jésus.

Si Israël torture et génocide les Palestiniens, si les israéliens massacre des enfants, bombardent des hôpitaux et tuent les humanitaires et les journalistes, dans leur tête, c’est parce la terre qu’ils colonisent est réellement à eux, et qu’ils s’en prennent à des méchants antisémites qui voudraient leur mort. Et le karma n’est pas tendre non plus, avec le crime de génocide…
Si les MAGAs laissent déporter des innocents dans des goulags Salvadoriens, c’est parce qu’ils se sont convaincus que ces gens sont des monstres qui ne valent pas mieux. Quand, pour trouver un monstre sans empathie, il leur suffirait de se regarder dans un miroir.

Certains chrétiens qui viennent en Andalousie suivre les processions pendant des heures pourront tout aussi bien ne pas appliquer les principes d’amour et de tolérance de celui qu’ils croient honorer, parce que dans leur tête, l’autre n’est pas aussi « pur, dévoué ou pratiquant » – la preuve, il n’est pas en train de s’user les semelles sur le goudron – et mériterait à ce titre leur mépris. Ou le bûcher.
Et bien sûr, il y a des chrétiens dans ses processions, qui ahanent sous le poids d’une « cofradia » ou qui suivent dans la foule, qui sont aussi des personnes charitables dans leur vie.
Je ne généralise pas.


Mais cette réalité alternative peut commencer très tôt.
Quand un tout petit enfant, qui se prend l’égo en pleine tête, sans avoir aucune expérience du monde, ni même être neurologiquement terminé, n’a aucune idée de ce que ses crises, à la moindre sucette refusée, à la moindre limite, sont exagérées. Il pense avoir le droit. Il est convaincu de l’injustice du monde et des ses parents.
Et toute l’éducation consiste à sortir la tête de son gosse de son nombril. À lui apprendre à remplacer le sentiment inné de son droit qui lui fait voir chaque refus comme un crime et une injustice par la gratitude, qui rend heureux à chaque bienfait.
Ce qu’un sociopathe n’a pas appris.

Un sociopathe est un enfant qui n’a pas grandi.
Qui n’a pas acquis de perspective et qui croit, inéluctablement, être du côté du bien…
Et si un membre de la famille attaque, encore et encore, c’est parce qu’il est convaincu qu’un grief inexcusable a été commis à son encontre. Toute défense mise subséquemment en place par l’autre ne fait alors qu’ajouter à la liste des « perfidies ».

Les sociopathes ne croient pas faire le mal, ils pensent au contraire le combattre, ils pensent obtenir justice…
C’est une forme de folie.
Car être sain d’esprit, c’est être lucide sur les faits.
C’est ne pas tout tordre, voire même inverser, pour rester dans une illusion confortable.

Et il n’est pas possible de raisonner avec une personne perdue dans les illusions de cette réalité alternative. La seule chose qui peut les en sortir, c’est un choc. D’une intensité suffisante pour la forcer à affronter la réalité.
Quand, face à la possibilité de changer toutes ses perspectives, celles qui ont bâti les fondations du « qui suis-je, d’où viens-je, où vais-je », plus d’un humain préférera encore mourir et boire le Kool-Aid.

À contrario, les psychopathes ne sont pas tous handicapés par ce délire : leur intelligence, à défaut de leur empathie, leur permet parfois de considérer l’ensemble des faits.
Au moins jusqu’à ce que leur égo finisse par noyer leurs neurones.

Mais les sociopathes, lorsqu’ils sont trop nombreux, sont capables d’entraîner une nation entière dans une dystopie.
Qui n’est rien d’autre qu’une réalité alternative inhumaine appliquée à tout un pays.

On le voit en ce moment même, aux USA, où un bon 25% du pays est convaincu d’être sur la voie de la grandeur, de la prospérité et de la réussite.
Où les leaders du parti se mettent à flatter le « dear leader » à coups de panégyriques ou d’eulogies obséquieuses qui ne ressemblent plus à quoi que ce soit de réel ou de possible.

Le paradoxe, c’est que les gens équilibrés, les gens qui ont du bon sens et de l’intelligence émotionnelle, vivent un enfer dans ce genre de milieu, qu’il soit limité à une famille ou à une entreprise, ou étendu à tout une nation.
Que ce sont eux qui se résoudront à prendre des anxiolytiques pour supporter une agressivité à la fois vindicative et sûre de sa supériorité morale.
Que ce sont eux qui sont alors considérés comme déséquilibrés par une société moderne qui n’a pas encore les yeux en face des trous.

Quand l’équilibre mental commence avec la lucidité, avec la capacité de vivre dans la réalité et d’y accepter les faits.
Ce dont Jésus était conscient : les pauvres fous qui s’activaient sous sa croix n’étaient pas conscients de ce qu’ils faisaient.
Et en ce sens, on peut leur pardonner.
Mais un sociopathe reste responsable de ses actions.
Et devra, tôt ou tard, fût-ce karmiquement, en affronter les conséquences.
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