L’œuvre de Miss Austen est surtout fascinante pour le portrait psychologique de la « bonne » société de son époque qu’elle brosse avec une précision chirurgicale, humoristique et cynique.
Bien sûr, quand j’ai découvert cet auteur, je l’ai aimé pour ses histoires romantiques et Mr Darcy, mais maintenant que je « profite » du coronavirus pour relire des livres, et que je viens de redécouvrir « Persuasion », j’ai été frappée par tous les portraits négatifs de cette histoire.
Les personnes qui ont un bon fond y sont en effet une minorité absolue et j’y trouve une confirmation dans mon estimation sur les « élites » actuelles, que je pense, malheureusement être composées d’une effrayante majorité de profils négatifs, plus des trois quarts.
Le sommet de l’échelle hiérarchique n’a pas beaucoup changé sur le fond, il semblerait, seulement sur la forme.
Pour revenir à ce livre, à de rares exceptions près, le lecteur peut créditer la plupart des intervenants d’intentions souterraines et obscures.
La culture de l’époque, qui ne donne aucune autre arme à une femme que celle de se dénicher le mari le plus riche possible en étant la plus jolie et insipide, favorise grandement la superficialité et les manigances.
Tout comme le vide abyssal d’une oisiveté érigée en art de vivre et la monstrueuse importance égotique donnée au simple fait d’être né dans une bonne famille, encourageait à tourner en rond autour de son nombril.
Et c’est un miracle qu’on ait pu sortir quelque peu du marasme moral.
Concernant ce livre, puisque je ne peux pas évoquer tous les comploteurs, trop nombreux, je vais m’en tenir à trois archétypes pour illustrer mon classement des négatifs.
Tout d’abord, il y a le père et la sœur aînée de l’héroïne, Sir Walter Elliot et Miss Elizabeth Elliot.
On les présente au début comme le pinacle de la méchanceté vis à vis de l’héroïne mais ils ne sont en fait que d’horribles égoïstes. Il n’y a aucune manipulation chez ces deux personnages, uniquement occupés à s’aimer et à se faire plaisir, disant au passage tout ce qui leur passe par la tête et ne cachant rien.
Ils ne font aucun effort pour plaire à autrui, et font clairement comprendre à l’héroïne à quel point elle ne compte pas pour eux. Et il serait facile de les détester mais en fait, l’égoïste est le négatif le moins dangereux.
Il ne porte pas de masque, on sait à quoi s’attendre, on n’est pas trompé par la marchandise.
C’est lui, au contraire, qui risque de se faire manipuler par des négatifs plus puissamment méchants. Ce qui ne manque pas d’arriver au cours du livre.
Dans une catégorie plus négative, il y a l’autre sœur de l’héroïne, une Mrs Mary Musgrove, de son nom d’épouse. Car elle est mariée et a deux enfants.
Au début, l’héroïne déclare préférer la façon qu’a cette sœur de la traiter, en objet utile, qu’elle trouve plus gratifiant que le mépris affiché par l’autre.
Mais je ne suis pas tout à fait d’accord.
Car c’est bien là un défaut de personne positive, que de vouloir à toute fin se sentir utile et si l’on n’y prend pas garde, on peut facilement se transformer en Saint Bernard, courant partout distribuer l’empathie et le tonnelet de rhum. Et l’on finit par s’oublier au passage, ce qui n’est pas très sain.
Cette sœur là, donc, qui est une narcissique de faible intelligence, gémit sans cesse, se place de façon permanente dans le rôle de la victime et cela, à seule fin d’obtenir des autres qu’ils fassent exactement ce qu’elle souhaite.
Ce qu’elle obtient, du reste, en général par politesse, et respect des convenances.
Elle veut toujours être au cœur de l’histoire. Et le monde tourne autour des avantages qu’elle peut ou non tirer des évènements.
Or, si l’héroïne trouve en cette sœur le plaisir éphémère de se sentir valorisée, elle aurait pu, sans d’autres interventions, finir par se retrouver en esclave dévouée dans le foyer de sa parentèle, élevant ses enfants, amusant la galerie, et tenant les sels à la moindre maladie imaginaire de celle-ci.
Il y a aussi un psychopathe, dans ce livre. A vrai dire, j’en soupçonne plusieurs mais il y en a un qui est clairement dénoncé comme tel : William Elliot, l’héritier du père de l’héroïne.
Il est découvert sur la fin comme un être froid, sans pitié et manipulateur. Et tout au long du roman, déjà, on le voit s’adapter aux personnes, mentir et user de son charme.
C’est ce négatif là qui est clairement le plus dangereux, car il sait adapter son apparence à ses besoins, pour obtenir ce qu’il veut.
Et à une époque où le mariage ne pouvait pas se casser, le sort d’un jeune fille innocente prise aux rets d’un tel profil n’était guère enviable. Les femmes à l’époque n’avaient aucun recours, elles n’étaient ni plus ni moins qu’une propriété.
Du reste, l’auteur nous fait comprendre que la première femme du méchant a été très malheureuse et est décédée jeune.
Dans ce livre, heureusement, notre héroïne, qui se méfie d’une telle apparente perfection et d’une absence de sentiments spontanés, est déjà amoureuse d’un autre.
Elle finira par l’épouser et ils pourront tous deux, dans ce monde de vilains, créer leur bulle de bonheur.