La première fois que j’ai entendu cette appellation de « ménagère de moins de cinquante ans » , chère au cœur de nos amis publicitaires, elle m’avait fait ricaner : j’étais très loin de me sentir concernée.
Mais maintenant que je me retrouve en plein dans la cible, elle me ferait plutôt rire jaune.
Parce que oui, je comprends à présent pourquoi lesdits publicitaires s’en prennent à nous, mères à plein temps ou ménagères à mi-temps : après plusieurs heures de boulot casanier, ils jouent sur du velours pour nous convaincre d’acheter des trucs en packs, en lingettes ou en tubes ou quoi que ce soit d’autre qui mette la planète et les ours blancs en péril mais qui nous permette de gagner trois secondes.
On ne parle pas assez du burn-out de la femme au foyer…
« Bonnes vacances » m’avait dit le Jules, en partant au boulot, le premier jour qu’il me laissait seule avec notre fille de moins de deux mois.
Et vous imaginez que je l’ai pris diversement…
J’ai donc, bien entendu, saisi la première occasion de me venger en disparaissant du foyer le samedi suivant : à l’homme hagard et effondré que j’ai retrouvé le soir, j’ai pu faire remarquer que s’occuper d’un enfant n’est pas de tout repos, et que je passais sûrement moins de temps à la machine à café que lui.
À sa décharge, il faut avouer qu’avant que je ne me retrouve moi-même pourvue d’enfant, issue que je suis de la génération des femmes qui normalement font carrière, j’estimais que celles qui décidaient ou que les circonstances obligeaient à rester à la maison étaient des feignantes de toute première catégorie. Des planquées seulement occupées à survoler leur progéniture d’un œil distrait en se refaisant la manucure.
Sombre erreur ! Pourquoi personne ne m’a rien dit ?
S’occuper d’enfants, c’est gérer l’imprévisible (aujourd’hui j’ai retrouvé mon dernier en train de déchirer méthodiquement les emballages de mes petits bracelets en céramique achetés pendant ma précédente société : dix pour cent de pertes), jouer les conciliateurs quand mon deuxième tape sur mon premier avec une brique en bois, supporter des décibels qui devraient être envisagés comme alternative à la bombe atomique (ma fille a dû être dauphin dans une vie antérieure), apprendre à dominer ses nerfs quand le bébé balance systématiquement tout ce que vous lui donnez à manger, et, s’il se rend compte que vous essayez de limiter les dégâts, vise le mur pour une explosion assurément plus fatale, démultiplier les petits gestes sans intérêt comme l’ouverture et la fermeture de tout ce qu’on a inventé pour tenir un textile ou un siège auto… et c’est sans parler de l’intendance qui, contrairement à la maxime napoléonienne, ne suit pas toujours (lavage, repassage, nettoyage, curage, aspirage), le tout dans une atmosphère générale et bien partagée de noire ingratitude : comme dit mon mari, c’est normal, une maman aime s’occuper de ses enfants et donc pour elle c’est pas du boulot.
Au début, je voulais juste une photo de linge en train de sécher. Et j’ai été prise d’une soudaine impulsion de PLANTEEEEEEEEEEEEER des pinces à linge partout…
Stop !
Aujourd’hui, la ménagère de moins de cinquante ans que je suis tape du poing. Et revendique deux-trois trucs.
Parce que là où la génération de ma mère avait épousé des gars qui trouvaient normal de mettre les pieds sous la table sans avoir à bouger le petit doigt (je n’ai jamais vu mon père ne fût-ce que débarrasser son assiette), ma génération est plus ambiguë : les mecs connaissent plutôt bien la théorie du partage des tâches mais ils ont encore un peu de mal à passer à la pratique.
Si vous n’avez pas envie de tout faire toute seule, vous devez être prête à constamment demander, exiger, râler ou intimer et si vous ne voulez pas être la bonniche de la maison, vous devez accepter de passer pour la mégère de service.
Et en plus, les hommes de ma génération, en tout cas le mien, considèrent que quand ils arrivent à trouver leur chemin pour aller au réfrigérateur, on devrait leur être éperdu de reconnaissance et démultiplier les faveurs sexuelles. Comme si on en avait encore la force…
Quand le jules est rentrée, il n’a même pas remarqué mon vaudou ménager !
En plus, en ce qui me concerne, je fais face à certains handicaps supplémentaires : la « mucama » (version Argentine et à domicile de la femme de ménage, je sais c’est décadent mais c’est bon !) qui s’occupait du ménage à Buenos-Aires appelait mon mari « pan de Dios », ce que l’on pourrait traduire par « le bon Dieu en culotte de velours », le couvait du regard au point de pouvoir me reproduire sa façon de tenir un volant, rêvait sans doute de lui en repassant ses chemises (celles là même que je truffe aujourd’hui de pinces) et ne comprenait pas que je le laisse se lever à table pour chercher un couvert.
Elle bondissait pour lui éviter le moindre effort et devant mon regard courroucé, le Jules se contentait de hausser les épaules en m’expliquant qu’il n’avait aucune chance d’être plus rapide et aucune force pour se battre après sa dure journée de travail.
Ce qui, j’imagine, a dû être à peu près la situation en Haute-Marne quand il y a été élevé par sa môman.
Pourtant les indices sont devenus de plus en plus clairs… il faudra que je songe à enseigner à mon fils à être plus méfiant et à reconnaître les signes annonciateurs d’orage conjugal.
La Haute-Marne, un département qui doit ressembler à peu près à l’image que se font encore les Américains de la France en dehors de Paris et de Saint-Tropez : dépeuplé, et agraire, parsemé de « riants » villages dans tous les nuances de beige et de marron qui n’attirent plus guère que des Hollandais à sandales en quête d’authentique ou de maisons à trente mille euros, ponts spéciaux pour laisser passer les animaux sauvages au dessus des autoroutes, plus de tracteurs que de voitures, bonne odeur générale d’épandage et croix de lorraine de dix mètres de haut qui domine le paysage (De Gaulle a choisi de s’y enterrer au propre comme au figuré). La Haute-Marne, dont l’artisanat local se limite essentiellement à la fabrication du couteau à l’ancienne (je cherche encore à me débarrasser de toute une flopée de couverts à manche en corne, héritage du premier mariage du Jules) et dont les ressortissants se retrouvent autour de la gnôle de leur grand mère, celle qui était bouilleur de cru (pour une appréciation de la boisson en question, je suggère de revoir cet extrait culte des bronzés font du ski).
Variation sur le même thème, ça défoule. Mais ne croyez surtout pas que je n’ai que cela à faire…
La Haute-Marne, où je recommande vivement d’aller chercher son mari si vous voulez un gars bien sans trop de névroses citadines inutiles et qui ne rechigne pas à scier du bois, mais où les hommes ont, semble t-il, deux ou trois lacunes dans le savoir vivre à table et vingt ans de retard dans leur approche de l’égalité entre les sexes. Il faut voir mon chéri retrouver ses aises et son couteau (fabrication de Nogent) chez sa môman pour sentir que j’ai encore du boulot.
Ça tombe bien, je n’aime rien tant qu’un bon défi.