un conte de fées sombre, drôle et désabusé

J’écris plusieurs choses en simultané en ce moment et j’avais envie de partager avec toi le début de mon dernier conte de fées.

C’est un conte pour adultes.
Ou, basé, selon mon expérience à la maison, pour enfant de plus de douze ans.
(en un mot comme en cent, mon fils de neuf ans, qui aime en général mes histoires, n’a pas supporté le dénouement)

Lucille

Dans tous les contes de fées, ou à peu près, je ne sais pas si tu l’as remarqué, le héros ou l’héroïne est un jeune enfant qu’on a rencontré bébé.
C’est Cendrillon, Blanche-Neige, Raiponce ou le petit Poucet.

Qui de mieux qu’un enfant, en effet, pour parler de l’innocence bafouée ? Et c’est vrai que c’est terrible, aussi, pour une âme sensible, que de voir un tout petit aux mains d’un ogre ou d’une sorcière.
Mais les enfants ne sont pas tous des anges, hélas et cela ne date pas d’hier. Il en naît un certain nombre qui sont des petits monstres.

Et comment se fait-il alors qu’aucun auteur de bon aloi ne se soit penché sur ce cas ? Des bons parents aux prises avec un petit diable qui ne leur cause que du tracas ?
Je vais réparer l’oubli de ce pas.

Et te narrer l’histoire de Lucille, petite fille sombre au prénom de lumière. C’est une histoire au goût amer.

Car amère, elle l’était cette enfant, et ce, depuis ses quatre ans.
Mais commençons par le commencement…

Il était une fois des paysans prospères d’un pays riche et commerçant, ayant plusieurs hectares, des bêtes, une belle maison et même, quelques servants.
Mais hélas, et c’était leur drame, ils n’avaient point d’enfant.
C’était de bonnes personnes, pourtant, de vrais braves gens. Et ils priaient les anges et tous les saints de bien vouloir enfin apporter la cerise sur le gâteau de leur destin : un petit, un tout petit à aimer, à langer et à pouponner !
Était-ce trop demander ?

Et ils priaient, et ils priaient, soir et matin. Quand enfin… Enfin ils eurent un bébé., une petite fille.
Qu’ils appelèrent Lucille.
Un merveilleux petit ange au nez rond, avec de grands yeux bleus couleur de ciel et de magnifiques cheveux blonds.
Mais – ah ! – et cela, ils ne le savaient pas encore, la petite avait un défaut de fabrication.

Et c’est à partir de ses quatre ans, donc, que tout changea pour de bon.
Car si l’apparence de l’enfant était séraphine, son caractère était tout autre et son humeur assassine. Rien de ce que ses parents faisaient ne lui convenait et de toute façon, elle en était sûre, ce n’étaient pas ses vrais parents, ces paysans habillés en toile de bure.
Son père véritable devait être quelque roi, quelque empereur, et c’est à la suite d’une horrible erreur, qu’on avait dû échanger les bébés à la naissance. Quelle horreur !
Comment elle, petite fille divine, avait pu se retrouver suffisamment proche d’un autre bébé mal né pour qu’on ait pu les échanger, elle ne se l’expliquait pas. Mais il n’y avait qu’à la regarder, si lumineuse et si royale, pour savoir qu’elle n’était pas à sa place dans cet horrible galetas.

Et rien de ce que ses parent lui offraient ne pouvait la satisfaire. Quand ils cherchaient à lui faire plaisir, en fait, ils lui gâtaient le caractère.
Tout lui était dû, rien n’était assez bien et elle ne voyait que le verre à moitié vide jamais le verre à moitié plein.
Au désespoir, ses parents, las d’être méprisés, essayèrent bien de lui faire entrer quelques valeurs dans la tête avec de l’autorité.
Il y eut quelques fessées…

« Ah, cette fois, c’est sûr, pensa alors la gamine, je suis Cendrillon, mon père n’est plu, ce n’est pas ma vraie mère et je suis orpheline. »

Mais que c’était-il donc passé en haut lieu ?
Que c’était-il passé dans les cieux pour qu’on envoyât ainsi une horrible peste à des humains aussi merveilleux ?

Il y eut une lamentable bévue .
Car au moment d’envoyer la nouvelle petit âme qui avait été choisie, l’ange préposé à la distribution des paquets, fut distrait deux minutes. Tout au plus.
Et la concurrence du bas en profita pour trafiquer l’envoi.

Quand on se rendit compte de l’erreur, cela remonta en haut lieu, croyez-moi, et cela chauffa !
Et on espéra et on pria – oui, on prie aussi là-bas – pour que deux adultes de bonnes intentions aient le dessus sur un marmouset ronchon.
Mais non…

Et c’est seulement quatre ans plus tard que l’ange responsable des distributions eut enfin le feu vert pour envoyer à ces parents la petite personne prévue initialement par le destin.
C’est ainsi que naquit Babin.

Elle s’appelait Rosemonde, en réalité, cette petit fille riante et adorable que tout le monde aimait, mais elle babillait du soir au matin ce petit mot en deux temps « ba-bin, ba-bin » et ce surnom d’elfe lui resta : il lui allait comme un gant.

La petite Lucille prit la naissance de sa sœur comme un camouflet.
Certes, ces deux campagnards miséreux n’étaient pas ses vrais parents, mais ils étaient ses esclaves à elle et une intruse voulait les lui voler !
Cela ne se passerait pas comme ça, elle allait s’en assurer. Déjà qu’on l’avait volée pour la coller dans une étable, élevée par des imbéciles, des minables, voilà maintenant qu’on lui imposait de la compagnie : elle était la victime d’un sort épouvantable.
Elle allait se venger, le droit et la justice étaient de son côté.
Et on verrait bien se qu’on allait voir.

Quand le but est aussi noble, c’est bien connu, tous les moyens sont permis, même les plus noirs.

Et la petit fille, jusqu’à là une simple peste insupportable, vira promptement au monstre abominable.

Il y en avait un, pendant ce temps, dans les profondeurs éclairées au charbon de bois, qui ricanait, les larmes aux yeux, en regardant, comme au cinéma, les horribles choses que sa protégée faisait subir aux deux vilains.
Ah que c’était drôle, de voir la tête de ces deux crétins, quand leur fille de huit ans arrachait devant leurs yeux les ailes des mouches, tirait la queue du chat, et torturait le poulet prévu pour le repas de midi. La petite n’avait pas une once d’empathie et prenait son pied au malheur d’autrui.

Le seul amour qu’elle ressentit, immense, quasi infini, c’était celui qu’elle éprouvait pour elle-même et pour son importance.
Faire souffrir son prochain, le manipuler, lui gonflait l’égo, lui donnait des bouffées de joie devant son pouvoir et sa magnificence.
Et justifiait, lui semblait-il, son arrogance.

Elle imaginait toujours pire,
Jusqu’au jour où, les deux fermiers, atterrés, en perdirent le sourire. Et durent se rendre à l’évidence. Ce n’étaient pas des farces, il ne s’agissait pas d’une étape de la toute petite enfance.
Leur fille aînée était une horrible engeance.

Ils ne savaient plus quoi faire, ils étaient dépassés. Et toujours plus loin, sur la voie du mal, cette enfant s’aventurait.
Bientôt, il ne s’agit plus seulement d’insectes ou de poulets, déjà que s’en prendre à un être vivant, quelle que soit sa taille, ne pouvait s’accepter.
Car Lucille, passant à l’étape suivante, s’attaqua à sa parenté.

Elle convainquit ainsi sa cousine d’aller s’aventurer dans un lac glacé. « Chiche !, lui dit-elle. Mais non, tu n’es pas cap, tu as du sang de navet ! ».
Sa cousine s’en sortit avec une fièvre carabinée.
« Ce n’est pas moi, c’est elle toute seule, dit alors Lucille à ses parents affolés, elle a voulu savoir jusqu’où elle pouvait nager ».

Et toujours et encore, elle manipulait. Puis accusait les autres de toutes ses forfaitures : elle ne prenait aucune responsabilité pour son attitude et collait sur son prochain le moindre de ses défauts.
« Ce n’était pas elle, la méchante, c’était le reste du monde, elle ne faisait que se défendre », lui soufflait son égo.

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