Manger en France, prier avec précautions et aimer sans modération

En cette semaine d’après Noël et avant de repartir pour le divin duo « champagne – foie gras », il me semble que c’est la période idéale pour aborder un sujet qui soit à la fois gastronomique et spirituel : le livre best-seller de Madame Elizabeth Gilbert.

Et franchement, je l’ai trouvé excellent : il est très drôle, plein d’auto-dérision et beaucoup plus profond que ne le laisse croire la superproduction avec Julia Roberts.

Mais.
Parce qu’en général, après la pléthore de compliments, c’est là qu’arrive le fatidique « mais ».

Eat, pray, love

Que madame Gilbert estime que la langue italienne soit la plus belle du monde, choisie par Dante et tout et tout, je veux bien le croire, surtout si elle ne connaît pas le français. Le débat est possible.
Mais qu’elle prône la cuisine italienne au dessus de notre cuisine nationale !
Ah non !
La pizza et les pâtes seraient meilleures que tout ce que nous savons cuisiner de notre côté des Alpes ? Impossible ! Et pour tout dire, sacrilège.
Déjà que la cuisine espagnole moléculaire nous bouffe la notoriété sur le dos, il ferait beau voir que la pasta italiana vienne à son tour nous chercher des crosses sur notre terrain de jeu.
La cuisine italienne est divine, je n’en disconviens pas, et leurs petits marchés de produits frais me font saliver rien qu’à les évoquer (mozzarella, gelati y tutti quanti) mais nous avons chez nous une diversité, une profusion et une créativité qu’il faudrait voir à ne pas penser égaler. Les Italiens ont pour eux un pays d’une beauté sans pareil, le soleil et Leonard de Vinci. Nous, au nord de la Loire, on doit déjà se taper un temps de cochon, les Parisiens et les Bretons. Alors qu’ils nous laissent la Joconde et la suprématie du bœuf bourguignon.
Crénom.

Mon autre petit souci avec madame Gilbert, c’est que son histoire est tellement bien écrite, son aventure paraît tellement fluide, simple et lumineuse, qu’on serait presque tous tentés d’aller demain acheter nos petits tambourins, nos moulins à prière et nos combinaisons orange safran pour aller communautairement et joyeusement sur le sentier lumineux qui mène à Dieu.
Et c’est là où je souhaiterais préciser qu’à mon avis l’auteur, en plus de posséder pas mal de moyens financiers pour pouvoir s’offrir une année sabbatique sur plusieurs continents, a eu beaucoup de chance, une excellent karma ou énormément d’expérience pendant ses aventures spirituelles. Ou les trois à la fois.

En ce qui me concerne, quand vers mes vingt ans, après avoir brièvement envisagé l’entrée au couvent et avoir finalement choisi la voie du Luxe (il faudra que je fasse mon CV3), moi aussi, il faut le noter, après un voyage en Italie qui m’aura plongée dans la beauté et la création mais m’aura fait préférer Cartier aux Carmélites, j’ai essayé de vivre ma spiritualité en me rapprochant de groupes de prière et de guides spirituels qui ne soient pas complètement catholiques.

Et c’est là que j’en viens, après cette phrase interminable, dont la vocation était de tester votre motivation, pour vous dire que tous les chemins ne mènent pas forcément à Rome et à Dieu : certains vous livrent directement dans les arrière-cours d’escrocs – voire de sectes -, un chouïa moins exaltants.
Et vous avez alors vite fait de vous retrouver à dépenser des fortunes pour des herbes poussées sur la face ouest de l’Himalaya et cueillies les nuits de pleine lune par des vierges tibétaines consacrées (ce qui en justifie le prix exorbitant), de tenir dans vos mains les manettes d’une machine qui ressemble fort à une trayeuse – votre sens du ridicule presque entièrement étouffé par le luxe d’un cabinet de consultation parisien -, ou à faire des séances de respiration dites du petit chien qui vous mettent dans des états de transe mal contrôlée et vous inciteront pendant toutes vos préparations ultérieures à la grossesse à simuler pour éviter de vous sentir sortir de votre corps au moment fatal de la poussée du bébé. On imagine mal…
« Madame ! Redescendez du plafond et venez poussez ! ».
Avouez que ça ferait désordre…

Et donc, forte de ma modeste expérience de quelques mois en charlatanisme spirituel, je me permets de vous donner quelques indices qui devraient normalement vous amener à douter de la pureté des intentions de votre gourou actuel. Car si chercher à s’enrichir n’est pas en soi forcément impur (tout un débat), il n’est pas forcément agréable que cela se fasse à vos dépens.

Ainsi, par exemple, si une fois que vous êtes entré(e) dans une communauté pseudo spirituelle, vous avez tout à coup des problèmes de fin de mois (trop d’herbes miraculeuses et de séances de trayeuse), je ne saurais trop vous conseiller de prendre la tangente.

De même, si votre guide spirituel garde autour de lui des disciples qui ont beaucoup trop d’années de guidage « gourouté » au compteur, et n’ont pas l’air d’aller mieux que vous, voire même, auraient plutôt l’air embourbé dans le délire psychotique, fuyez à toutes jambes. Fuyez pareillement si votre guide se donne de l’importance, oublie la modestie du sage qui sait qu’il ne sait pas grand choses face aux Mystères, se gargarise à longueur de temps de sa supériorité morale et a l’air de vouloir vous garder près de lui ad vitam æternam pour lui cirer les pompes ou lui faire le ménage, tout en vous expliquant qu’il vous fait là un honneur pour lequel vous devriez sangloter de reconnaissance. Un vrai guide sérieux ne voudrait jamais aliéner votre liberté, il a autre chose à faire que de vous avoir constamment dans les savates.

Et enfin, si votre groupe de méditation commence à vous mettre une trop grosse pression sur votre régime alimentaire quotidien et vous parle en plein déjeuner au restaurant, des mérites et des bénéfices du lavement du côlon, prenez vos jambes à votre cou. Certes, on se voit mal commencer à méditer après un marathon choucroute-galette complète, Gandhi était végétarien et ça ne fait de mal à personne de manger du poisson le vendredi, au contraire. Mais c’est le genre de démarche qui devrait rester personnelle et contrôler votre régime alimentaire, c’est encore le plus sûr moyen de contrôler votre tête, votre carte de crédit et tout le reste. Toutes les bonnes épouses savent cela…

Et à propos de mariage, en ce qui concerne la troisième partie du livre de Madame Gilbert, le « love » du « eat, pray, love », je n’ai presque rien à ajouter : l’amour c’est toujours sans modération.
Mais je tiens juste à noter toutefois que l’auteur a eu le bon goût de tomber amoureuse d’un Brésilien. Moi qui écoute en boucle la bande son du film Rio depuis que je l’ai hypocritement offerte à mes enfants pour Noël, je comprends pourquoi…
Todo bem.

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