qui suis-je, d’où viens-je, où vais-je ?

Voilà bien le triptyque qui définit, à lui tout seul, le poids de nos crises existentielles.
Et c’est en son nom, comme je l’ai déjà écrit ici, que nos cerveaux sont prêts à nous enfumer pour rester dans une dissonance cognitive plus confortable que la perspective d’avoir à se confronter aux pérégrinations du doute.

D’où viens-je ?
Et l’on touche là à l’importance de l’héritage, qu’il soit culturel, religieux ou familial.

J’ai lu récemment, que ce que les révolutionnaires enviaient le plus aux aristocrates, c’était la force de leur héritage familial, de tous ces tableaux où Monsieur fouraillait à Fontenoy pendant que Madame présentait ses perles et ses enfants.
Et qu’il est plus agréable de se sentir issu d’une lignée où les valeurs sont claires, gravées en dessous du blason, et dont les ancêtres reposent sous leurs gisants aux maints jointes, que d’être issu d’une suite de paysans anonymes, jetés dans la boue et l’anonymat des fosses communes.

C’est sans doute pour combler ce vide que tant de personnes font des recherches généalogiques.
Et c’est à lui que les personnes nées sous X, ou adoptées, doivent se confronter.
Mais pas seulement… Car un bon nombre de personnes ne sont en réalité pas nées du père qu’elles croyaient : c’est chose beaucoup plus commune que ce que l’on voudrait croire, d’avoir une mère qui cache la paternité réelle d’un bambin.
Même, et surtout, dans les familles aristocratiques françaises d’antan où les mœurs se voulaient légères, ce qui, il faut bien l’avouer, citoyen, égalise un peu la donne.

On a tous les rapports de santé sur l’enfance de Louis XIII et je suis la reine de Hollande si Louis XIV était son fils légitime. Ce qui expliquerait les goûts de parvenu de ce dernier, allégrement copiés par Donny Trump. Alors que son père putatif était d’une grande simplicité, du temps où Versailles n’était qu’un relais de chasse.
Et j’aimerais fort, si, dans l’allégresse de la Terreur, leurs corps n’ont pas été jetés dans la même fosse commune – une vengeance sans doute liée au manque cité plus haut – qu’on puisse vérifier leurs concordances en ADN…. Comme on l’a fait récemment pour Richard III d’Angleterre, dont les gènes crient post mortem qu’un de ses ancêtres maternels n’a pas été complètement fidèles à ses vœux.
Rien d’étonnant, du reste, à ce qu’il ait eu le dos complètement en vrac, puisqu’un ostéopathe, au simple massage du mien, a pu m’asséner sans doute aucun que j’avais été en manque de père.
Oh, surprise…

Les paysans que nous sommes peuvent ainsi se consoler du fait que même un aristocrate n’est jamais complètement sûr de son ascendance.
Et aussi, que même dans le mensonge d’une mère adultère, nos épi-gènes, en réalité, nous transmettent bien plus que ne le font nos gènes. Des goûts, une histoire, des attachements, des traumatismes…
Que même dans le silence le plus total sur nos origines, ou la tromperie, on est bien le maillon d’une chaîne dont le métal se révèle au fil du temps.

D’où viens-je est donc crucial. Et il est d’autant plus difficile de s’en détacher qu’il a de la présence, en plus d’avoir été formateur.
J’en prends à témoin un parent psychopathe, de forte personnalité et d’immense charisme, qu’il m’a été très difficile d’identifier comme tel. Car si un parent immédiat répond au plus près à cette question existentielle du « d’où viens-je », un parent psychopathe, narcissique, qui ne doute de rien, vous donne le sentiment de n’être qu’une planète satellite autour d’un astre solaire.
Couper le lien, c’est se retrouver à errer dans l’espace, vaste, noir et infini.
À tout prendre, alors, je comprends les enfants Trump qui, confrontés à l’évidence d’une sociopathie d’ordre clownesque, ont fait le choix visible de participer à l’arnaque familiale. Point de définition facile, en dehors du Grand Tout.
Mais c’est toujours possible. Et le courage de Mary Trump, et de son père avant elle, en sont l’illustration parfaite. Très très difficile mais possible.

Qui suis-je ?
Car qui je suis démarre depuis le « d’où je viens ». Un peu comme le sportif, sur une ligne d’arrivée, dépend des efforts qu’il aura fait avant.

Et le présent n’est pas chose aisée à s’inventer, quand on ne sait pas exactement ce qui nous a amenés au jour J. On bâtit mieux sur des fondations solides.

À défaut, tout un chacun, pétri de doute, aura à cœur de s’accrocher aux certitudes d’autrui. Mais quand on sait que les certitudes sont liées à l’égo et le charisme trop souvent au narcissisme, on comprend les risques encourus.
La liberté est effrayante. Le doute aussi.
Plutôt que de s’y confronter, vite vite chercher une secte. Qu’elle soit religieuse ou non.
Certaines personnes, aujourd’hui, semblent prêtes à mourir pour une star de cinéma.

Une secte efficace sera une organisation qui vous proposera une foule de rituels qui vous rassureront au quotidien et vous donneront ainsi le sentiment de l’immuabilité dans un monde changeant.
Comme je le dis très souvent à mes enfants, je suis convaincue qu’une bonne part du « succès » colonial des anglais tient à leurs rituels : le thé à 5pm, le gymkhana le vendredi et le polo le dimanche, quel que soit l’endroit, aidaient l’expatrié britannique à se sentir toujours chez lui, avec ses repères, même en passant du froid pluvieux de « Old Blighty » à la chaleur tropicale des Indes.
Dans le même ordre d’idées, plus une religion sera normée, plus elle offrira de confort mental à ses pratiquants. Aux détriments possibles du libre arbitre voulu par Dieu.

Notre identité est donc grandement définie par notre passé et nos croyances accrochées sur l’extérieur. Notre caractère et nos valeurs, en comparaison, semblent bien moins importantes pour beaucoup de monde.
« Homo homini lupus est » dit la maxime. Mais c’est bien plus que cela : l’homme est un loup avec l’homme. Notre instinct grégaire est primordial.
Et beaucoup trop d’entre nous seront prêts à jeter leurs principes et la morale sur le feu de joie de l’appartenance au groupe. Ou, comme cela a été démontré par des études psychologiques à Stanford, à ignorer l’éthique si la contrepartie, c’est de désobéir à l’autorité.

Plutôt que le vaste champ des possibles, qui donne le vertige, beaucoup d’entre nous préférerons ainsi un sillon tracé par d’autres.

Pourtant, il est toujours possible de délimiter son pré carré, de choisir son avenir, d’écouter sa vocation, de suivre son cœur et de se connecter à son intuition. Et cela permet une réponse autrement plus intéressante au « qui suis-je » !
Comme le disait un prélat à Joffrey de Peyrac dans « Angélique, marquise des anges » (citation de mémoire, au grand dam de ma mère, j’ai une culture plus qu’éclectique !) :
« Vous dépassez les bornes !
– je n’utilise les bornes que pour monter à cheval.
– ça vous mènera loin !
– au Ciel. »
Presque tout est possible à qui a l’autodiscipline nécessaire pour se fixer ses propres jalons.
Ce qui est d’autant plus facile qu’on a une motivation… Et on en arrive au :

Où vais-je ?
Une inconnue définie par la réponse aux deux questions précédentes et aux objectifs personnels. Pour une personne spirituelle, c’est ce qu’on appelle notre mission sur Terre.

Et plus le passé est fort et formateur, plus l’avenir est défini par des ornières contraignantes mais rassurantes, pour peu qu’on accepte son héritage. C’était, encore une fois, le principe de l’aristocratie. Mais aussi de groupes religieux orthodoxes, par exemple les Mormons.

Le confort de ne pas être cogné par le doute, jour après jour, sur ces trois questions primordiales est inestimable.
La préférence de la nature humaine pour son ornière familière, même si elle est boueuse, est ainsi la raison pour laquelle, alors que l’humanité semble avancer en technique, elle n’a, en essence, pas beaucoup progressé. Et continue de commettre les mêmes erreurs.
Parce qu’elle préférera trop souvent la dissonance cognitive à la confrontation avec les faits.

Et c’est ainsi que Henri III est mort, luttant d’autant plus désespérément pour son héritage qu’il devait savoir inconsciemment qu’il n’était pas le sien, le dos en zigzag, pour finir enterré sous un parking, comme le dernier de ses paysans.

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