the United States of Amusement

L’année de mes 14 ans, je suis allée aux USA pour un échange avec une correspondante.
Le bon vieux temps du rapprochement nécessaire entre pays quand internet n’existait pas et qu’on consommait essentiellement ce qu’on produisait sur place : côté français, on a horrifié une jeune états-unienne en l’emmenant manger dans un Grand Restaurant où l’on servait du lapin et j’ai découvert aux USA le broyeur au fond du lavabo et les brocolis.

J’ai donc débarqué à Boston en pleine campagne de réélection de Ronald Reagan.
La mère de mon amie provisoire était une fervente Démocrate – les brocolis étaient un indice sûr – et elle était catastrophée à l’idée que Ronald Reagan puisse être réélue, prévoyant un avenir sombre pour son pays si c’était le cas.
Je découvre depuis quelques années à quel point elle était visionnaire : Ronald Reagan a en effet sonné le début du glas des années riches en classe moyenne de FDR en même temps qu’il trompetait l’hallali pour les oligarques machiavéliques qui entendaient bien reprendre un pouvoir exclusif et de préférence sadique sur des masses pauvres, inéduquées et chargées en enfants exploitables dans les champs de maïs et les mines de charbon.
Mais je m’égare…

Cette mère de famille Démocrate et visionnaire m’a donc emmenée à un meeting Démocrate de Walter Mondale et ce qui a choqué l’enfant que j’étais, c’était que ce meeting avait plus l’air d’un Grand Guignol que d’une réunion d’adultes sensés décider de l’avenir de leur pays.
J’ai aussi participé à un meeting politique en France, notez bien, et s’il y régnait une certaine ferveur zélée et l’enthousiasme électrique des foules qui partagent la même opinion, aux USA, il s’agissait de tout autre chose : une orgie de ballons tricolores, des badges, des chapeaux, des accessoires qui faisaient pin-pon et des chanteurs.
Il n’y manquait que des clowns. Depuis Donald J Trump, l’oubli a été réparée.

Je n’étais alors qu’une adolescente mais j »ai tout de même immédiatement et intuitivement pensé que ce n’était pas une bonne façon de faire de la politique.
Rien ne garantissait en effet que les personnes présentes s’intéressassent vraiment aux enjeux. Tout semblait indiquer au contraire que le gens étaient là pour le spectacle.

Et c’est bien là le drame de l’Amérique, où tout le monde semble chercher l’amusement en permanence, parcs d’attraction géants, bateaux de croisière sans escale ou alors dans une île privée avec manèges, informations traitées comme du divertissement avec rebondissements, scoops et voix gravement saccadée de rigueur… Jusqu’au show politique.

Les empereurs romains usaient cyniquement du « panem et circenses » pour tenir la plèbe.
Les oligarques made in USA ont fait pire : ils vendent du circenses à leur profit pour faire oublier aux masses qu’elles ne manquent que du panem. Et que leur panem, bourré en sirop de maïs, additifs et pesticides, les tue à petit feu sans espoir de médecin à l’horizon.

Du coup, je ris pas mal jaune quand je vois les experts Démocrates d’aujourd’hui se désoler et s’étonner de ce que les MAGAs aient voté pour une « vibe » aux détriments de leurs intérêts.

Quand leur pays, qui n’est presque plus que superficialité et marketing depuis vilaine lurette n’élit pas un homme pour une fonction mais l’apparence d’un leader pour la mise en scène d’une fonction.
Et même si le charisme a toujours été un atout en politique, il est de bon ton, dans les autres démocraties, de ne pas réduire un dirigeant à cela.

Or, lorsque je revois Reagan lire son discours sur papier, j’y reconnais les parfaites intonations de l’acteur qui incarnait l’Amérique et sa culture Western, génocide et cowboys.
Bush Junior était clairement l’idiot sympathique et utile de bonne famille qui masquait les guerres illégales, les kidnappings internationaux et les sites illégaux de torture.
Et tous ces présidents, qu’ils aient été sérieux ou non, se sont fait annoncer par une voix grave et enjouée que ne renierait pas Mickey avant d’entrer en scène : « Ladies ans gentlemen, the President of the United States ».
Hail to the chief.
(Encore un indice, avec l’exceptionnalisme qui n’est qu’un joli nom pour suprémacisme, que le baril de poudre n’attendait plus que l’allumette soufrée…)
More flonflon.

Il ne faut pas s’étonner alors, dans un monde où prime l’amusement et les apparences – à commencer par celles du bonheur – que le pays ait fini par élire une Star de TV réalité, en croyant que ce loser, capable de mener un casino à la faillite, suffisamment désespéré pécuniairement pour faire le pitre sur petit écran, ce qu’aucun milliardaire sérieux n’aurait envisagé… En croyant que ce loser, donc, puisse mener tout un pays vers la prospérité.

Et quand je vois les mêmes experts Démocrates rêver de lancer dans l’arène le présentateur de show politique John Stewart comme alternative au clown télévisé, je désespère un peu des États-uniens : n’avez-vous donc rien compris ?

Une démocratie ne peut exister que si la politique est comprise pour ce qu’elle est – une affaire sérieuse de vie et de mort – par une population éduquée sur l’Histoire et capable de sens critique.
« Remets ton épée à sa place; car tous ceux qui prendront l’épée périront par l’épée. » a dit Jésus, que je semble décidément beaucoup citer, en ces temps difficiles.
Et il me semble à moi que celui qui vit par le spectacle risque de périr aussi par le spectacle.

Or, ce que je vois souvent en commentaires, écrit par des États-uniens sur YouTube, c’est « elect a clown, expect a circus ». Si vous élisez un clown, vous aurez un cirque.
Alors que ce que je constate, personnellement, dans l’Histoire des USA se résumerait plutôt à : « When your politics is run like a circus, you’ll attract the clowns. »

Quand vous transformez la politique en cirque, vous allez attirer les clowns…
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