fille de médecin

« Il fallait bien une fille de confrère pour nous faire chier comme ça ! »
On est le douze novembre 2006, à la veille de la césarienne qui allait me confier ma fille… et trois gynécologues sont à mon chevet.
Cela fait trois jours et trois nuits que l’on m’a diagnostiqué une toxémie gravidique et que je suis, entre autres, connectée à un appareil à tension qui se déclenche tous les quart d’heure.

Et c’est effectivement, dans la profession médicale, la réputation des enfants nés dans le milieu d’être les plus difficiles à soigner.

Et pas qu’en France…
Ma dentiste espagnole me disait justement qu’il y avait un nom pour ça «  le syndrome de l’enfant de médecin ».

Car en un mot comme un cent, un enfant de médecin n’a pas la confiance aveugle en la profession que d’autres personnes semblent généralement avoir.
Il est né dans les coulisses, il connaît les limites de l’humain.
Un enfant de médecin ne va pas traiter la parole médicale comme une bulle papale : infaillible, sacrée, irrévocable.

Il va poser des questions, l’hérétique. Mettre en doute.
Ne pas avoir automatiquement et complètement confiance.
Demander un deuxième avis.
Et surtout, il va beaucoup plus stresser.

Car la fille de médecin que je suis aura vu son « père » gynécologue partir en consultation à l’heure où il était déjà sensé y être.
Et des salles d’attente logiquement bondées à chaque fois qu’elle devait y retrouver son parent…

Elle aura entendu ce même « père » claironner ces fameux matins qu’il « allait faire la pute ». Parce que, selon, ses dires, une bonne partie de ces consultations consistait surtout à écouter la rombière s’épancher sur ses déboires conjugaux.
Ou amener sa fille de quinze ans dans un rituel initiatique qu’il jugeait ridicule.

Quand un célèbre hôpital parisien m’a imposé un examen gynécologique, mon « père » a déclaré qu’ils faisaient juste tourner l’usine à cochons.
Expression qu’il utilisait du reste régulièrement.

Qu’on ne se méprenne pas avec cet article : mon « père » était justement un excellent médecin, voire un médecin de génie.
De ceux qui savent voir au delà des symptômes pour aller droit au cœur du problème. Un mélange rare entre connaissances – mises à jour de façon permanente sur les dernières techniques – et intuition.
Et les nombreuses lettres de ses clientes éplorées à sa retraite étaient bien la preuve qu’en dépit de son cynisme, il savait la valeur de l’écoute.
Pourtant, on s’est régulièrement affronté, tous les deux, quand je lui parlais de l’importance du psyché sur le corps, et de l’intérêt qu’aurait la médecine à considérer l’ensemble du patient.

Et c’est lui qui, ce fameux neuf novembre 2006 gravé dans ma mémoire, a exigé l’examen de glycémie qui m’a sauvé la vie, quand son confrère, pourtant choisi par lui comme étant le meilleur, m’avait seulement fait un mot pour mes parents, en rigolant qu’ils me pourrissaient trop et qu’il fallait limiter les bons petits plats.

Peut-être est-ce aussi en contrastant la majorité des médecins à l’excellence de ce « père » que je me suis fait une opinion moins flatteuse que la moyenne sur l’ensemble de la profession.
Ou que j’aie partagé son cynisme…

Plusieurs des mes petits camarades d’enfance ont ainsi choisi cette noble profession, de façon tout à fait franche, après avoir vu la taille de la maison familiale.
L’une d’elle m’avait invité à un repas à l’internat et j’avais été affolée d’entendre les étudiants, futurs médecins, parler de leurs patients comme d’autant de grenouilles.
« Ils vont changer quand ils auront perdu quelqu’un qui leur est cher », m’avait alors confié ma mère, ex-infirmière.

Mais c’était elle, aussi, qui m’avait raconté, entre autres, les histoires de bonnes-sœurs de son service qui, dans les salles communes, mettaient intentionnellement les personnes aux prises d’une maladie mortelle dans des lits près de ceux qui en étaient au stade terminal. Certes, c’était il y a longtemps…

Les coulisses du milieu, les repas entre amis, tous médecins, qui se sont connus à la fac ou à la clinique…
Du confrère qui boit trop ou de celui, trop âgé, dont tout le monde, dans la profession, se demande pourquoi il exerce encore…

Je ne vais pas là énumérer les anecdotes qui ont émaillé mon enfance, je sais le pouvoir de l’Ordre et je tiens à le rassurer au passage que le serment d’Hippocrate a toujours été respecté. Je me souviens notamment de la fois où j’ai été la dernière de ma classe à savoir qu’une de mes professeurs était enceinte, alors que c’était une des patientes de mon « père ».
Mais toutes ces histoires que les enfants nés dans le milieu ont fatalement entendues, expliquent pourquoi ils sont conscients des limites de la profession.

Qu’ils ne voient pas automatiquement le « docteur » comme un être omniscient, et uniquement bienveillant, admirablement dévoué à sa seule vocation de sauver des vies.

Le reste de la population s’en souvient, épisodiquement, que tous les médecins ne sont pas des saints, dans les cas extrêmes et médiatisés comme celui du gynécologue en France qui profitait de l’inconscience des ses clientes.
Et puis les gens oublient, ou l’enfouissent au plus profond de leur inconscient, confrontés à leurs maux ou à leur effrayante mortalité, quand il sont en face de LEUR médecin. Qui devient tout à coup une figure tutélaire, un prêtre dépositaire des secrets de son Ordre, qui parle en latin, qu’on veut croire le plus empathique et le plus compétent possible.

Les gens oublient, face à un médecin, l’imperfection de la profession.
Mais pas l’ex-enfant qui a été élevé dans le milieu : le médical est inscrit dans son ADN.

Finalement, j’ai survécu à ma première grossesse, en partie grâce à l’intervention in-extremis de « mon père ».
Il y a aussi des médecins extraordinaires et une bonne part de docteurs honnêtes appliquant un processus en général bien testé.

La médecine est une excellente chose et je bénis personnellement le jour où la péridurale a été inventée.
Elle est aussi en constante évolution.
Et elle n’est pas infaillible.

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