La mauvaise foi est au manipulateur ce que la raquette est au joueur de ping-pong : indispensable.
Je m’en faisais justement la réflexion lors d’une réunion de préparation aux vacances scolaires de ma fille, pour lesquelles la direction du collège avait décidé le bannissement absolu des téléphones portables pendant l’aventure champêtre.
L’argument, sensé titiller la fibre é-du-ca-tive des parents, était qu’il fallait bien savoir les décontaminer de la présence obsédante de l’écran.
Une mission sacrée. Que dis-je ? Un apostolat.
Et oui, moi aussi, à la naissance de ma fille, j’ai essayé de n’acheter que des objets en bois ou en tissu avant de me rendre compte, horrifiée, que mon bébé, dès l’âge de huit mois, préférait déjà largement ce qui faisait pin-pon.
Je me suis alors résignée, l’âme écologique en peine, à acheter des jouets – vulgaires ! – bruyants et à pile.
Il faut dire aussi à ma décharge de parent démissionnaire qu’un cube en bois lancé dans la gueule ça fait mal : sachons survivre à la petite enfance de nos chérubins.
Mais pour revenir à cette délicieuse école qui chatouille pas mal ma plume, l’argument était donc quasi religieux, ce qui avait de quoi surprendre, pour l’une des rares écoles laïques d’Espagne : il leur fallait envoyer les adolescents à l’air pur, sans aucun écran pour polluer les alpages.
Dans leur immense majorité, les enfants n’étaient pas convaincus. Déjà que le téléphone, arguaient-ils avec un peu de raison, était avant tout un moyen de communication.
Et s’ils emmenaient un téléphone sans écran ?
Et si l’usage était limité à une demi heure par jour ?
Seulement dans le bus ?
Et si les parents allaient s’inquiéter ?
Non et non, rétorquaient les enseignants, le seul écran serait le leur, les parents des cinquante enfants pourraient toujours essayer d’avoir de leurs nouvelles en essayant de joindre leurs deux mobiles.
Ils se sacrifieraient, ces braves adultes, en portant le poids de la technologie pour mieux préserver l’âme pure des enfants sous leur charge.
Au delà de l’argument un poil pessimiste qui consisterait à penser qu’il est rarement sain de livrer un troupeau d’enfants à un petit nombre adultes sans aucune possibilité d’intervention extérieure (évitons la paranoïa…), ce qui était intéressant, pendant cette réunion, c’est qu’on pouvait très vite constater que la conclusion était décidée d’avance, qu’aucun compromis ne serait proposé.
Et que les enseignants se contentaient de renvoyer les balles, sans même s’arrêter à leur pertinence, utilisant, en dernier recours, une forme de condescendance amusée.
« Allons, allons, vous allez bien pouvoir vous passer d’un téléphone pendant une semaine, non ? »
Bien sûr qu’ils le pouvaient.
Il n’y avait juste aucune vraie logique au propos, à part celle qui sous-tendait sûrement la décision et qui n’avait jamais été secouée à l’air libre : la volonté de ne pas s’emmerder à gérer un matériel cher, de ne pas avoir à faire la police et surtout de ne pas avoir, encore, les parents sur le dos.
La paix des alpages, ils la voulaient pour eux.
La mauvaise foi est aussi une « compétence » que j’ai travaillée en préparation aux « Hautes Écoles » quand il nous était demandé de débattre pour un certain thème, puis contre lui.Et les sujets pouvaient être aussi palpitants que « Y a qu’à » ou « Les feuilles mortes. »Le but, comme en politique, n’étant pas d’avoir raison mais de gagner.
La mauvaise foi est une arme classique pour tout manipulateur digne de ce nom.
Et cela nous donne le sentiment à nous, personnes munies de conscience, d’essayer de retenir un savon mouillé.
Ou de nous battre dans la boue avec un adversaire qui se serait, au préalable, trempé dans l’huile : un exercice salissant, éminemment frustrant et sans aucune conclusion positive possible.