Un manipulateur se nourrit en émotions aux dépens de celui qui l’écoute.
Et pour ce cœur vide, n’importe quelle émotion fera l’affaire : amour, compassion, espoir, enthousiasme aussi bien que peur, colère ou haine.
Ce qui fait qu’il y a, en fait, deux façons d’être la victime d’un manipulateur.
Certaines victimes, dont je fus, ne songent qu’à aider positivement, à soutenir le pauvre manipulateur qui se présente de la façon la plus pitoyable possible – il est toujours pilonné par un sort injuste -, à le défendre et, si possible, à le sauver.
Le sauver, en fait, est impossible, mais tout bon manipulateur qui se respecte saura remuer ce noble objectif comme une carotte devant votre museau d’âne, suffisamment proche mais toujours inatteignable, pour s’assurer son quota d’énergie secourable.
Mais il est d’autres victimes, à la base des bonnes personnes, en qui le manipulateur saura réveiller les ressentiments, l’envie ou la haine. Personne n’est parfait, hélas, et on a tous notre lot d’émotions négatives plus ou moins enfouies, plus ou moins bien digérées.
Et quand certaines personnes sauront ne pas donner libre cours à ces pulsions les moins louables, ou les regretteront, une fois exprimées, d’autres, manipulées pour cela par autrui, parent, conjoint ou ami, vont se sentir enfin autorisées à donner le champ libre à Colère et Compagnie.
La conscience apaisée par le fait que c’est pour une bonne cause.
Au nom du manipulateur, fausse victime permanente du monde, de sa famille, de sa belle-famille, de ses collègues ou du public, certaines vraies victimes hypnotisées vont monter sur le cheval blanc de la justice et charger tous les moulins.
Pendant que le manipulateur, lui, souvent un lâche, reste en coulisse du théâtre qu’il aura mis en scène, tenant ses fausses plaies d’un air blessé, silencieux, dramatiquement digne.
Certains conjoints vont s’en prendre à la famille du manipulateur, croyant avoir tout compris d’un seul coup d’œil, n’écoutant qu’un seul son de cloche, d’autres vont se retourner contre leur propre famille, s’autorisant du même coup à aérer de vieilles rancœurs – au nom du bien, toujours ! -, un parent sera retourné contre ses enfants, certains enfants seront priés par leur mère de s’attaquer à leur père, ou inversement, des membres de parti politique vont enfin pouvoir déchaîner leur vindicte contre l’opposition, des personnes, sur la foi d’un menteur, vont couper les ponts avec leurs amis, d’autres vont en vouloir au reste du monde qui semble s’acharner sur leur tendre moitié…
Quel bonheur de libérer ainsi ses pires penchants, au nom d’une grande cause !
Alors qu’en fait, la fin ne devrait pas justifier les moyens. Et que cet adage ait été popularisé par Machiavel devrait nous mettre la puce à l’oreille.
La fin ne justifie jamais les moyens.
Sinon, si vous jetez vos valeurs, vos principes et vos croyances au feu d’une « noble cause », vous qui étiez seulement la victime d’un hypnotisme toxique, voire carrément d’un enchantement maléfique…
Vous êtes à présent complices.