Mon Cher et Tendre, élevé par deux professeurs de collège, a cette tendance naturellement française à mettre la science au pinacle de ce qui est bon, juste et vrai.
Ah, ce n’est pas pour rien qu’on a remplacé le petit Jésus par la déesse de la Raison en 1792 et malgré le passage de deux siècles, deux Napoléon, cinq républiques et une dizaine de générations, en France, on vénère assez facilement la logique et les mathématiques.
Et donc, mon Cher et Tendre, enfant de l’enseignement, me maintient que ce qui nous entoure peut être classé en trois catégories et en trois catégories seulement : le minéral, le végétal et l’animal. La science en a décidé ainsi, la science a forcément raison – crénom ! – et si ça me pose problème à moi, lui ne voit aucun inconvénient à avoir été jeté dans la même lot que le cochon ou l’escargot. Il faut dire que mon mari est Bourguignon.
Personnellement, si j’apprends à mes enfants le respect forcené du règne animal au point de leur demander, si faire ce peut, de sauver les insectes en détresse (je mets cependant la limite à l’amour de mon prochain à multiples pattes lorsque celui-ci s’aventure côté maison), que j’apprécie le combat des associations de défense de la planète, que je suis végétarienne et que j’ai deux chats, je ne pousse pas la solidarité jusqu’à m’identifier au delà d’une certaine frontière assez codifiée.
Ce n’est pas parce que j’aime mes chats que je vais partager leur gamelle. Ce n’est pas parce que je ne veux pas d’une planète sans baleines que je me prends pour une sirène.
Si un scientifique en mal de notoriété et de fonds a décidé un jour de nous classer en trois catégories et de jeter les humains dans le même pot que les animaux, ça le regarde. La science n’est pas immuable, elle évolue, et heureusement, parce qu’il n’y a pas si longtemps elle clamait haut et fort que les bains étaient nocifs pour la santé, tout comme l’air frais et des populations entières de pays qui se croyaient alors civilisés vivaient en toute bonne conscience dans des habitations et des corps saturés en remugles, poux et joyeusetés diverses. C’était le bon temps, quand tout marquis à talons rouges qui se respectait pouvait uriner tranquillement dans les couloirs de Versailles sans craindre d’être poursuivi pour entrave à l’hygiène.
Je tiens justement à t’assurer au passage, ami lecteur, que je ne remets pas la totalité de la science d’aujourd’hui en question. J’apprécie trop la péridurale pour cela.
Mais je suis convaincue que l’humain, à la différence du singe, pour ne nommer que lui – parce qu’en général c’est justement lui qu’on cite comme contre-exemple absolu, allez savoir pourquoi, personnellement je n’épouille jamais personne à la main – que l’humain, disais-je, a une dimension spirituelle qui lui est propre.
Et là, en tant que française, je m’aventure, je le sais bien, en territoire quasi hostile.
Oui, je pense que chacun de nous a une dimension spirituelle. Et en me laissant aller un moment à ma facette poétique, cette dimension serait comme un petit morceau de ciel que l’on aurait emmené avec nous sur terre, avant de nous incarner.
Je crois que chacun de nous a un besoin de croire, de rêver et d’espérer. Un besoin de foi.
Tout le monde ne réalise pas forcément ce besoin en tournant ses yeux vers les cieux. On peut croire en soi, en son destin, rêver au pognon et avoir foi en Ferrari.
Mais ceux d’entre nous qui n’ont pas trouvé leur morceau d’étoile auquel accrocher leurs pas ont, à mon avis, plus de mal à se sentir bien.
Car cette dimension spirituelle est à mes yeux, le meilleur de l’homme.
Tout comme je crois qu’elle peut aussi être sa perte.
Parce que si les scientifiques modernes n’en font pas grand cas, de cette dimension-là, il est une certaine catégorie de personnes qui savent automatiquement tabler dessus pour en faire leurs choux gras : les escrocs de tout poil, vendeurs de lingettes à nettoyer dans les coins, pourvoyeurs de miracles, charlatans et autres politiciens sans scrupule.
Et la grande force de ces manipulateurs du réel est que notre besoin de croire est tel que nous faisons presque l’intégralité du boulot pour eux.
Il leur suffit de nous donner envie, de nous montrer un tout petit bout du paradis, et ensuite, notre cerveau va se plier dans des positions qui feraient la joie d’un fakir en caoutchouc pour donner raison à celui qui n’en veut en fait qu’à nos sous ou à nos votes.
Et cela je l’ai moi-même testé.
Entraînée par une curiosité insatiable sur l’univers qui m’entoure et les spiritualités qui l’animent, je me suis retrouvée assez vite à payer des fortunes pour manger des herbes cueillies exclusivement sur les pentes de l’Himalaya, à me faire conter mes vies antérieures par une voyante de bacs à sable qui les lisait dans le creux de l’oreille ou à tenir dans mes mains une machine qui rappelait fortement la trayeuse et qui était sensée me conter mon niveau énergétique. Entre autres.
Et certes, j’ai fini par mettre le holà à ces élucubrations. Mais j’avais auparavant plié mon intelligence sans barguigner pour répondre à mon envie de merveilleux.
Mon naturel rebelle a assez vite pris le dessus cependant : il faut dire que l’assentiment unanime du groupe d’alors à considérer le lavement du colon comme un traitement salutaire et quasi obligatoire m’a fait l’effet d’une bonne douche froide.
Personne ne touche à mes tripes sans une excellente raison !
De cette expérience, je tire un premier axiome tout simple : je ne signe jamais un blanc-seing à mon prochain quand il tire quelque chose de mon assentiment, pouvoir ou argent.
Et un deuxième : je ne mélange jamais politique et foi et dans ce domaine-là, je ne crois que ce que je vois.